La pierre peut se targuer d’avoir toujours su capter la fascination des artistes. En effet, sous toutes ses formes, de celle la plus nette et taillée à la plus brute et rugueuse, la moindre pierre, minerai ou encore fragment de roche, semblent déjà contenir, en eux, la diffuse, mais néanmoins présente, idée-même de l’art. C’était comme si tous ces éléments issus du minéral, au rythme incessant des cycles que leur imposait la nature, avaient acquis une qualité, une valeur, conférées par le statut de bruts, mais raffinés, objets.
C’est à partir de cette fascination commune que Michèle IZNARDO et Martin HOLLEBECQ posent les trajectoires créatrices de leur œuvre. Une recherche qui les pousse à interroger ce matériau et sujet selon de nouveaux modes. Cette quête s’envisagerait comme la conceptualisation d’une minéralité : qu’advient-il de la pierre, lorsque nous la pensons et la rêvons ? Comment cette dernière, plus que n’importe quelle autre matière, peut s’exuvier et laisser jaillir son âme de ses entrailles ? La minéralité devient autre chose qu’un aspect, ou une qualité, du matériau : elle vient à l’esprit comme son idéal, son abstraction et son irrévocable dépassement.
L’œuvre d’HOLLEBECQ ne saurait se défaire de la surface de la roche. De la pierre bleue, au marbre, en passant par le granit, ces sculptures sont le résultat d’un dialogue, d’une lutte, entre le sculpteur et son taiseux interlocuteur. Sous le coup de ses outils, la pierre semble alors se tordre, se contorsionner et se métamorphoser selon de nouvelles lois. Martin révèle ce qui était déjà contenu dans le brut, et pourtant il obtient un objet fondamentalement neuf : une sculpture dépouillée de la substance excessive de roche, mais qui pourtant crie la nature, le paradoxe et le chaos de sa propre chaire de pierre.
IZNARDO n’a pas recourt à la roche pour dire la minéralité. Au travers de la brume de sa peinture, transparaissent les ombres et formes de montagnes évanescentes. Loin d’en être ses uniques sujets, les vertigineux décors de pierre qui peuplent l’œuvre de l’artiste s’exposent comme des irrémédiables inconnues. C’est dans toute leur absence que Michèle IZNARDO donne voix à la roche. Elle peint celle-ci dans ses moments de fuite et de rupture avec le réel ; mais elle peut aussi la révéler comme envahissante, titanesque, contraignant même parfois la visualité du spectateur, lorsque ce dernier semble se tenir à l’entrée d’une caverne infléchissant un cadre à la composition. Dans ces deux œuvres, la roche perd ses arrêtes et se dépouille d’elle-même.
Mais tel un ancrage dans l’existence, des aspérités et rugosités demeurent dans les sculptures d’HOLLEBECQ, tout comme les paysages d’IZNARDO échappent que de peu à l’abstraction en maintenant des frontières entre le règne de la roche et ce qui lui échappe. C’est sur ce fin fil, que la minéralité se dresse. Sur les lames de ce creuset, la matière même semble s’oublier sans jamais pourtant se dissoudre complètement. Les paysages éthérés d’IZNARDO semblent comme glisser vers un ailleurs et la roche devient fumée ou aplat de couleur. Les sculptures d’HOLLEBECQ dérivent dans l’espace telles des vues de l’esprit, des phantasmes sur lesquels la sensibilité vient se heurter. La minéralité nous apparait alors, rattachée à ce fin cordon physique, par-delà les artères des carrières et les chimies des pigments.
-Pierre Hubeaux-Colon
Une sculpture ambivalente qui vient ressusciter pour nous la mémoire enfouie des premiers âges du monde… La sculpture de Martin Hollebecq ressuscite pour nous la mémoire enfouie des premiers âges du monde. S’y discerne l’infinie complexité des éléments, en même temps que l’harmonie qui préside à toute chose en ce bas monde. S’y perçoit un chaos maitrisé, ordonné, sensible. A mesure qu’on l’examine, qu’on s’en nourrit le regard, qu’on la suit dans ses entrelacs géométriques, ses contours ingénieux, ses reliefs inextricables, on pénètre au coeur d’un processus mystérieux, au plus proche des composantes fondamentales de la matière. En vérité, cette sculpture est la preuve indubitable de ce que la nature est un rêve sans fin dont l’homme n’a pas encore extrait tous les sucs. La pierre, la pierre bleue de Soignies, travaillée avec passion et abnégation, telle que la travaille le sculpteur belge, révèle au grand jour d’intenses clartés, de subtiles tonalités, de profondes harmonies, maints charmes dont on ne la croit sans doute pas pourvue lorsqu’on la découvre, dans sa forme brute, avant que l’artiste ne la fasse parler. Il n’a pas son pareil à ce sujet Martin Hollebecq pour inciter le matériau à livrer ses secrets. A raison d’incroyables tours de force, d’heures acharnées de labeur, apparaissent au fil de la pierre sculptée des rifts, des crevasses, des sillons, des ravines, des landes désolées, des terres sauvages, des gorges, des crêtes, des cols, mille paysages changeants que la lumière irise et magnifie. La matière percée à jour par la main experte de Martin Hollebecq, nous laisse entrevoir l’enfoui en un subtil équilibre de failles et d’excroissances, de lignes et de courbes embrassées. Chaque œuvre est une aventure différente de la précédente. Le sculpteur fuit la redite et ne cesse d’innover, de créer des formes nouvelles, des associations non encore inventées. Et chaque fois, ce qui saute aux yeux, c’est la fluidité de sa création, cette espèce d’évidence qui en émane, un jeu abstrait riche de mille décors, traversé par une poésie mariant la rugosité au poli, la ligne droite à la brisure, le galbe à l’anfractuosité. C’est cela la sculpture de Martin Hollebecq, cette façon toute personnelle de creuser l’enfoui pour en révéler l’éternelle unité en se jouant de la matière.